Le 30 juin 1960 est la date symbolique pour l’accession de la République Démocratique du Congo (RDC) à l’indépendance. Après avoir subi le règne de Léopold II (de 1885 à 1908) et la colonisation par l’Etat belge (de 1908 à 1960), elle devenait officiellement un pays souverain. Cette indépendance a suscité beaucoup d’espoir de la part des Congolais qui ont cru que les nouveaux dirigeants construiraient un Etat viable en misant sur leur développement. 65 ans après, la RDC ne décolle toujours pas, alors qu’elle dispose des ressources naturelles qu’humaines colossales pour bâtir un pays prospère. Une désillusion !
65 ans, c’est peu à l’échelle de l’histoire du monde. C’est en revanche une éternité pour un peuple qui se bat pour l’amélioration de ses conditions de vie. Le 30 juin 1960 est la date qui symbolise pour la RDC et les Congolais la libération de la domination coloniale. Ce jour-là, les Congolais avaient manifesté leur joie à l’indépendance, et l’espoir de bâtir un pays plus beau qu’avant était né.
Comment ne pas penser à ce morceau joyeux au rythme entraînant, « Indépendance Cha Cha », joué par l’orchestre African Jazz, pour célébrer l’indépendance, cette fierté retrouvée, cette dignité conquise à force de luttes ?
Mais après 65 ans de marche vers la réalisation de ce rêve tant espéré, que de défis ! Des interrogations demeurent, notamment sur la gestion des affaires publiques, l’éducation, la santé, la sécurité des personnes et biens, qui pourtant sont des domaines prioritaires, indispensables pour tout développement. La cupidité et la corruption, le détournement de fonds publics, le cynisme des dirigeants, l’absence de gouvernance responsable demeurent un fléau. L’unité de la nation congolaise, consacrée par la Constitution, est mise à mal par la guerre dans l’Est du pays qui dure depuis bientôt 30 ans.
PAYS HUMILIÉ
On s’était fait à l’idée, dès l’indépendance, que la RDC ne serait jamais parfaite, car elle est composée et dirigée par des humains ; des humains qui sont capables du meilleur autant que du pire. Mais on savait que les erreurs et les abus du passé rappelleraient toujours aux Congolais le besoin de s’améliorer sans cesse, d’apporter les ajustements nécessaires, les cas échéant, et, finalement de toujours préserver la patrie aux fins de la remettre intégralement aux mains des générations naissantes et futures. C’est d’ailleurs un gage de survie, de continuité et d’épanouissement pour toute société organisée.
On s’était également fait à l’idée que la vie nationale collective ne serait pas facile ; tant de choix à faire, de défis à relever, de responsabilités à assumer. Mais on espérait voir germer dans le cœur de chaque Congolais un incoercible sentiment de profond amour pour le pays, une exigence, voire une obligation de le chérir et de le protéger.
L’inconscience de tous a entraîné le pays dans le gouffre. Le manque d’éthique des dirigeants a fini par faire plonger le pays dans une gouvernance malsaine. Les Congolais assistent médusés et impuissants, depuis l’avènement de la 3ème République, à une dégradation accélérée de leurs modes de vie et à un effritement prononcé de cette liberté arrachée par les vaillants combattants dans la lutte pour l’indépendance.
La RDC est aujourd’hui humiliée. Jadis craint, respectée, elle est devenue l’un des maillons faibles du continent. Malgré ses immenses ressources naturelles, la RDC est l’un des pays les plus pauvres du monde. Selon le rapport des résultats 2023 des Objectifs de développement durable (ODD), 74,5 millions de Congolais continuent de vivre dans l’extrême pauvreté. Le revenu national profite seulement à une poignée de personnes !
Selon l’étude du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) publié en 2024, la RDC arrive au 180ème rang sur 193, dans la catégorie « développement humain faible ». Près des trois quarts des 105,8 millions de Congolais vivent en dessous du « seuil de pauvreté multidimensionnel » qui tient compte de l’accès aux soins et de l’alimentation.
PAYS CONVOITÉ ET ATOMISÉ
Toutes les tragédies de la RDC se déclinent sur ce paradigme qu’est la convoitise de ses ressources naturelles. Elle a toujours été un objet de prédation pour les grandes puissances du monde, désignées aujourd’hui sous l’appellation fallacieuse de « Communauté internationale ». La RDC est le théâtre africain de leur affrontement.
Lors de l’indépendance, en 1960, les Belges laissaient une colonie sans cadres locaux pour diriger le pays, des structures étatiques inexistantes et des richesses naturelles immenses dont il importait de conserver l’usage et le bénéfice. C’est ce qui explique pourquoi la RDC a été si facilement placée sous tutelle des Etats-Unis et de l’Europe, politiquement et économiquement.
Les deux guerres du Congo (1996/1997 et 1998/2002) et la crise dans la sous-région des Grands Lacs africains ont révélé de nouvelles puissances dans les pays d’Afrique de l’Est qui se sont entendues pour en exploiter les richesses, devenues l’enjeu principal des conflits. Le pillage systématique des mines et des forêts a permis le financement des guerres et le trafic d’armes.
Le délitement de l’Etat congolais a conduit la nébuleuse « Communauté internationale » à y intervenir directement, depuis 2002, sans mettre fin à la mise en coupe réglée de la RDC, via le Rwanda et l’Ouganda, dont au final, elle est le plus grand bénéficiaire.
L’implication des Occidentaux, sous couvert de l’ONU et des Institutions financières, souffre d’une étrange schizophrénie. D’un côté, la « Communauté internationale », la brumeuse, a financé un processus de transition politique vers la démocratie en s’efforçant de ramener la stabilité dans ce vaste pays où se trouve déployé le plus fort contingent onusien au monde; de l’autre, elle donne réalité à une sorte de « marché commun » sous- régional dominé par le Rwanda, pourtant premier responsable d’ instabilité et d’ insécurité dans les deux provinces sœurs du Nord et Sud-Kivu, refuse au pays l’édification d’un Etat puissant et armé face aux défis de la paix et de la reconstruction comme s’il présentait un danger pour la position dominante des compagnies majors occidentales dans l’exploitation économique de la RDC. La signature de l’ « accord de paix » entre la RDC et le Rwanda intervenue, le vendredi 27 juin 2025 à Washington, sous la médiation des USA, vient de confirmer cette assertion, ce qui est une aberration.
Ce positionnement d’équilibriste qui consiste à atomiser la RDC en confiant le leadership économique et politique de la sous-région des Grands Lacs africains au Rwanda au détriment de la RDC productrice des richesses rend, selon la formule de Pierre Hassner, spécialiste français des relations internationales, « la paix un peu moins impossible mais la guerre un peu moins improbable ».
Aujourd’hui, la rivalité opposant les Occidentaux à la Chine pour l’exploitation des richesses naturelles que possède la RDC n’est pas faite pour arranger les choses. Tout est sous contrôle de l’étranger.
La conclusion à la quelle souscrivent les Congolais, qui débattent souvent de cette situation, est que la RDC doit sortir de l’emprise occidentale qui constitue, en vérité, un frein à son envol. Sinon l’indépendance, comme moyen de libération de l’Homme, restera à jamais un mythe.
Cette libération, qui n’exclut pas la coopération ou des rapprochements avec d’autres Etats du monde, doit être porteuse de changements socio-économiques, juridiques et politiques pour le développement de la RDC.
TRANSFORMER LE PAYS ET ACHEVER L’INDÉPENDANCE
Les Congolais ont rêvé de l’indépendance, ils se sont battus pour ça… ils l’ont raté. La désolation, la souffrance et la misère ont pris le dessus sur la liberté, la sécurité et le bien être.
Est-ce utopique de croire encore en un rêve commun, en un idéal commun, en une nation commune ? Est-ce farfelu de croire que la RDC puisse être un pays confiant dans son avenir ?
L’indépendance de la RDC n’a pas été un accident de l’histoire. Le miracle est encore possible si, animés d’un patriotisme sincère, mais austère, d’un dévouement civique et sans limites, les Congolais acceptent d’y consentir les sacrifices politiques adéquats, acceptent d’y déployer les efforts sociaux requis, acceptent d’y dépenser les énergies citoyennes nécessaires au lieu de s’accrocher aux convictions obscurantistes, jusqu’au-boutistes et rétrogrades ou mieux à la peur d’être dépassé par un futur incertain.
Les Congolais ont le devoir de transformer le pays, l’obligation d’achever l’indépendance. Et pour que cela soit possible, il y a des pratiques à abandonner, à éradiquer : les ambigüités dans les choix politiques, la course effrénée vers l’argent et le pouvoir, l’iniquité du système judiciaire, l’extrême concentration de la richesse dans des mains pas trop nationalistes, la centralisation à outrance de l’administration. Il y a aussi des choses à cultiver et à faire grandir irrémédiablement : la souveraineté nationale, l’unité nationale, le dialogue national ainsi que l’émergence d’une économie au service du peuple et de la nation.
C’est alors et alors seulement que le rêve des Congolais de « bâtir un pays plus beau qu’avant », c’est-à-dire plus humain et plus juste, totalement libéré de l’exploitation économique, de la dictature politique, de l’exclusion sociale , des querelles intestines trouvera écho en leurs âmes et consciences et conséquemment, non seulement, ils raviront à la nébuleuse « communauté internationale » tout espoir de les réoccuper, mais, encore et surtout, ils confirmeront au monde entier que l’indépendance de la RDC n’a pas été un accident de l’histoire.
Que le 65ème anniversaire de l’indépendance de la RDC réveille la conscience des Congolais pour trouver réponse à la question suivante : que veut faire les Congolais de leur pays ? C’est de leur conscience citoyenne que jaillira en effet la réponse. Il n’y a ni de bonnes, ni de mauvaises réponses, mais seulement des gestes patriotiques dynamiques et des actions citoyennes hardies et ambitieuses à la hauteur des talents et des compétences des Congolais.
MAP/RDC